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« Pour se hisser au niveau des grandes nations de recherche, la France doit aller vers l’égalité entre les femmes et les hommes »

Le : 27 mars 2021

La loi de programmation, actuellement en cours d’étude au Parlement, est une loi structurante pour l’enseignement supérieur et la recherche. Par les nouveaux dispositifs de recrutement qu’elle introduit, le renforcement du financement par projets de la recherche, elle a vocation à modifier les parcours professionnels des chercheurs et des chercheuses.

Le texte de loi, tel qu’il est présenté aux parlementaires, est aveugle à l’égalité entre les femmes et les hommes. Cet impensé est d’autant plus surprenant que les universités doivent proposer, avant le 31 décembre de cette année, des « plans d’égalité professionnelle ». Enfin, l’alignement de la France sur les standards internationaux en matière de recherche ne peut se faire sans une prise en compte de l’égalité entre les femmes et les hommes, les prochains programmes européens en feront même une condition de financement.

Les rapports qui ont précédé la conception de la loi donnent la tonalité de la manière dont la LPR a été pensée. Le mot « chercheuse » en est absent, le terme « femme » cité deux fois au détour de mesures assez vagues. La LPR quant à elle impose les rapports d’égalité professionnelle comme seuls garants d’une réduction des inégalités. L’étude d’impact de la loi est de ce point de vue emblématique.

Lutter efficacement contre les inégalités

Elle n’évoque aucune des problématiques relatives aux carrières des femmes, marquées par les plafonds de verre, les planchers collants ou révélant dans bien des disciplines un problème de fuite à chaque étape de la progression de carrière. Au lieu de cela, l’étude d’impact ne mentionne les femmes qu’à l’occasion de grossesses éventuelles et de l’impact de la maternité sur la carrière, réduisant ainsi les difficiles parcours des femmes dans la recherche à un simple problème de calendrier relatif à leur fécondité.

Aucune réelle étude d’impact n’a donc été faite pour savoir quels seraient les effets de la LPR sur la mixité dans la recherche. Il serait important qu’une réelle étude d’impact soit diligentée sur les questions d’égalité. Nous devons en effet mesurer les conséquences d’une loi qui influencera profondément la recherche des dix ou vingt prochaines années.

Le plan d’égalité professionnelle, pour indispensable qu’il soit, ne peut être le seul instrument permettant de lutter efficacement contre les inégalités. L’obligation faite aux établissements de se doter de plans d’action et les sanctions accompagnant l’absence de mesures sont à saluer mais l’on sait, grâce à de nombreuses études, que, sans une insertion de mesures fortes afin de garantir une convergence des carrières, ils resteront des pis-aller.

Mise en place de mesures innovantes

Ainsi nous demandons à ce que trois types de mesures soient insérés dans la loi afin de permettre à celle-ci de devenir un véritable levier d’amélioration de la condition des femmes chercheuses et de contrebalancer les risques que les nouveaux dispositifs leur font courir : l’éga-conditionnalité ou le fait de conditionner l’autorisation de recrutements ainsi que l’attribution de crédits aux résultats en matière de progression de l’égalité.

Ainsi, les nouveaux dispositifs de la loi (tenure tracks ou « chaires d’excellence », CDI de projets, etc.) pourraient être soumis à autorisation en fonction des résultats de l’établissement en matière de progression de l’égalité sur les années précédentes. De la même manière, les préciputs, cette part des financements de projets de recherche obtenus auprès de l’Agence nationale de la recherche (ANR) et qui reviennent aux établissements, pourraient être modulés en fonction de critères d’égalité entre les femmes et les hommes. Ces mesures déjà en vigueur dans les universités canadiennes par exemple ont démontré leurs effets.

La mise en place de mesures innovantes, comme le coportage des projets de recherche ou encore l’atteinte de viviers de recrutement composés de 40 % du sexe sous-représenté, est une autre solution. Ces mesures présentes par exemple en Suisse permettent d’attendre, pour procéder au recrutement, que le vivier des candidatures présente une réelle mixité. Ces deux propositions ont pour principal atout de monter en visibilité des candidatures de chercheuses ou des chercheuses déjà en poste afin qu’elles puissent prendre des positions de leadership au sein des équipes de recherche.

Une vieille nation plus soucieuse de prestige que d’égalité

Enfin, la dernière mesure consiste à développer de manière conséquente les indicateurs permettant d’évaluer l’impact de chacune des mesures de la LPR sur l’égalité chaque année. Sans cet arsenal d’indicateurs, il sera plus difficile de corriger, modifier ou renforcer certains aspects de la loi en fonction de leurs effets sur les biais de genre.

A ces conditions, nous passerions de mesures correctives des biais de genre, les plans d’égalité professionnelle, à l’élimination structurelle de ces biais, et sauterions une étape en matière de lutte contre les inégalités. En effet, le renforcement des appels à projets, le développement de dispositifs dont les recrutements se font sur la base de la perception de talents purement individuels sont de puissants accélérateurs d’inégalités tant les jeunes hommes bénéficient de ce que les chercheurs appellent la « présomption de compétence ».

Les appels à projets ne permettent que rarement de donner une opportunité à des équipes nouvelles et renforcent les équipes déjà installées, organisées et dont les directions sont le plus souvent assurées par des chercheurs (70 % des projets retenus par l’ANR ont pour seule direction un homme).

Pour se hisser au niveau des plus grandes nations de recherche, la France doit franchir un cap en matière d’égalité entre les femmes et les hommes, faute de quoi nous passerions pour une vieille nation plus soucieuse de prestige que d’égalité, et passerions à côté d’un mouvement à l’œuvre dans l’ensemble des nations de recherche.

Pour ces raisons, nous, chargés de mission égalité au sein des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, demandons aux parlementaires d’adosser à la loi une étude d’impact spécifique sur les conséquences en matière de genre, l’intégration de l’éga-conditionalité et l’obligation de mise en place d‘indicateurs de suivi.

Tribune rédigée sur LeMonde.fr

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